ChatGPT fait du droit constitutionnel… ou pas : le 3ème amendement (fictif) de Constitution de 1958

Publié le 14 avril 2023 par Charles Eddy, traducteur juridique à Lille


Capture d’écran d’une partie de l’interface de ChatGPT

À la suite de ma dernière expérience avec ChatGPT, où j’ai pu constater sa tendance à servir de « générateur de bullshit », j’ai voulu tester ses capacités en droit national en lui posant une question simple sur la Constitution française :

Que dispose le 3ème amendement de la Constitution de 1958 ?

Cela fait sourire, bien entendu, car la réponse n’est pas spécialement compliquée : il n’y a pas de troisième amendement (enfin, pas au sens de la question qui a été posée).

En premier lieu, on n’appelle pas les modifications à la Constitution française « amendements » à l’instar des Américains, préférant le terme « révisions » de ce côté de l’Atlantique. Mais ce n’est peut-être qu’un détail. Ensuite, on ne numérote pas ces révisions comme les Américains (pas de 1re révision, 2ème révision, etc. donc), et il est donc impossible de répondre sérieusement à la question sans plus de renseignements. De quel troisième « amendement » parle-t-on au juste ?

Un humain serait obligé de solliciter davantage de détails en tout cas pour pouvoir y apporter une réponse adéquate.

Vous l’aurez deviné, ChatGPT n’a pas choisi cette voie…

Les réponses de ChatGPT : délires et affabulations

J’avais deux hypothèses : soit l’IA donnerait pour réponse la troisième révision constitutionnelle (chronologiquement) – la Loi constitutionnelle du 30 décembre 1963 qui a réformé la session parlementaire –, soit il raconterait des salades.

ChatGPT a choisi la deuxième option.

Posée à cinq reprises différentes, la question a obtenu cinq réponses différentes, chacune plus insolite que la précédente.

Découvrons-les.

Réponse numéro un :

« Le 3ème amendement à la Constitution française de 1958 concerne l’organisation et la répartition des compétences entre les différentes collectivités territoriales. Elle a été adoptée en 2003 et dispose notamment que "Les collectivités territoriales de la République sont la commune, le département, la région, ainsi que les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74. Elles s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences. »

Ici, ChatGPT nous parle effectivement d’une révision constitutionnelle (la Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, adoptée sous la présidence de Jacques Chirac), mais en l’occurrence c’est la dix-septième chronologiquement…

Bref, une réponse à la fois inventée et sans pertinence.

Réponse numéro deux :

« Le 3ème amendement de la Constitution française de 1958 concerne l’organisation et la composition du Sénat. Elle dispose que le Sénat est composé de sénateurs élus au suffrage indirect par les grands électeurs, c’est-à-dire des représentants élus des conseils municipaux, départementaux et régionaux. Elle précise également que le nombre de sénateurs est fixé à trois cent quarante-huit, dont un tiers est renouvelé tous les trois ans.

Il convient de noter que la Constitution française a connu plusieurs amendements depuis sa promulgation en 1958, et que la numérotation des amendements a donc été modifiée à plusieurs reprises. Il est donc possible que les références au 3ème amendement diffèrent selon les époques et les contextes. »

Encore quelques belles affabulations. En premier lieu, le texte originel de l’article 24 de la Constitution disposait déjà en 1958 que « Le Sénat est élu au suffrage indirect. » Ce n’est donc pas le fruit d’une révision.

Ensuite, c’est bien après, lors de la plus récente révision constitutionnelle en 2008 (la vingt-quatrième en date, la Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République), que le nombre de sénateurs a été ajouté à l’article 24.

Quant à la durée de leur mandat, celle-ci ne figure même pas dans la Constitution, ayant été modifiée non pas lors d’une révision constitutionnelle, mais par une loi organique (Loi organique n° 2003-696 du 30 juillet 2003 portant réforme de la durée du mandat et de l’âge d’éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat), conformément aux dispositions (jamais modifiées) de l’article 25, al. 1er de la Constitution (« Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée… »).

Bref, l’IA nous livre un bel amas d’imprécisions qui n’ont rien à voir avec un hypothétique 3ème amendement.

Mais ce qui est peut-être le plus beau dans sa réponse est finalement le deuxième paragraphe, où ChatGPT nous informe (faussement…) que la « numérotation des amendements » est en fait souvent modifiée – c’est sans doute pour cela qu’il peine à nous les bons chiffres. CQFD !

Réponse numéro trois :

« La Constitution française de 1958 ne dispose pas d’un troisième amendement. La Constitution de 1958 se compose de 18 articles numérotés, mais ces articles ont été modifiés et complétés par des lois constitutionnelles et des révisions ultérieures. »

On croit s’y rapprocher, en lisant que « La Constitution française de 1958 ne dispose pas d’un troisième amendement ».

Et puis finalement, ça fait pschitt.

Si, selon ChatGPT, « la Constitution de 1958 se compose de 18 articles numérotés » (alors qu’elle en contient actuellement 104 au total), on peut supposer, en faisant preuve d’indulgence, que l’IA fait référence au Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui compte 18 articles.

Celui-ci fait effectivement partie du bloc de constitutionnalité, mais il va sans dire que ce n’est pas la Constitution, et ce texte n’a pas, de toute manière, « été modifié et complété par des lois constitutionnelles et des révisions ultérieures ».

Passons donc à la suite.

Réponse numéro quatre :

« Le 3ème amendement de la Constitution française de 1958 concerne le droit de vote des citoyens. Il prévoit que le droit de vote est universel, égal et secret. Il stipule également que le droit de vote est personnel et que toute personne majeure jouissant de ses droits civiques peut voter. En outre, il énonce que le vote peut être exercé soit directement, soit par procuration dans les conditions prévues par la loi. »

Ici, ChatGPT semble faire référence à l’article 3 de la Constitution (qui n’est pas bien entendu un « amendement »), et croit bon d’ajouter un passage sur le vote par procuration, qui ne figure nulle part dans la Constitution.

(Ou bien « directement ou par procuration » pourrait-il faire référence à l’exercice de la souveraineté nationale par le peuple « par ses représentants et par la voie du référendum » ? Difficile de savoir…)

Mention spéciale pour « le troisième amendement de la Constitution de 1958 … stipule », qui aura fait grincer les dents de plus d’un juriste dans la salle.

Réponse numéro cinq :

« Le 3ème amendement de la Constitution de 1958 en France concerne l’organisation du pouvoir exécutif. Il stipule que le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Le président nomme le Premier ministre et, sur proposition de celui-ci, les autres membres du gouvernement. Il préside également le Conseil des ministres et a le pouvoir de nommer aux emplois civils et militaires de l’État.

Le 3ème amendement a également renforcé les pouvoirs du président de la République en matière de défense nationale et de politique étrangère. Il lui donne le pouvoir de décider de l’utilisation des forces armées françaises à l’étranger, après consultation du Premier ministre et du Parlement, et de représenter la France dans les relations internationales. »

Ici, le premier paragraphe nous sert un cocktail des articles 6, 8, 9 et 13 de la Constitution. Les articles 6 et 13 ont certes subi des révisions à plusieurs reprises, mais on peine à voir en quoi il s’agirait d’un seul « amendement » qui aurait modifié l’organisation du pouvoir exécutif…

Le deuxième paragraphe renforce le mystère. L’IA semble ici évoquer les articles 15 et 35 de la Constitution, mais on ne suit pas spécialement bien son raisonnement ; le Président est bel et bien le chef des armées et décide de leur intervention à l’étranger conformément à l’article 15, mais il n’a pas à consulter le Premier ministre ou le Parlement (avec seulement l’obligation pour le Gouvernement – et non le Président – de demander la prolongation de l’intervention au bout de quatre mois).

Par ailleurs, la Constitution ne confère pas au Président le pouvoir « de représenter la France dans les relations internationales » ; certes, il accrédite les ambassadeurs (article 14) et négocie ratifie les traités (article 52), mais c’est surtout la pratique qui fait du Président le représentant de la France auprès des autres nations.

Bref, encore une réponse sans queue ni tête.

Pour conclure

Dans tout ce qui précède, il ne faut pas perdre de vue le fait qu’il n’y a pas de 3ème amendement de la Constitution française et que, pour pallier son manque de réponse à ce sujet, ChatGPT invente et présente sa réponse comme la vérité. Cinq fois. Avec cinq réponses différentes.

On aimerait bien que ChatGPT nous dise simplement qu’il n’en sait rien (c’était d’ailleurs la conclusion de mon dernier article sur le sujet).

Mais il semblerait – au moins dans l’état actuel de cette technologie – que nous ayons atteint une situation qui rappelle celle décrite déjà en 1985 par Marguerite Duras en imaginant l’avenir : « Il n’y aura plus que des réponses. Tous les textes seront des réponses, en somme… L’homme sera littéralement noyé dans l’information. »

Mais quid de la justesse et la pertinence de celle-ci ?

La hype surestime à coup sûr les capacités – certes améliorées par rapport aux générations précédentes, mais néanmoins limitées – de ChatGPT.

Rappelons à ce titre les propos récents de Yann Le Cun, directeur du laboratoire d’Intelligence Artificelle de Meta et Professeur d’informatique et de neurosciences à l’Université de New York, lors d’une interview le 12 avril dernier à l’antenne de France Inter :

« Au niveau de la science et de la technologie sous-jacente, ce n’est pas du tout révolutionnaire. […] Mais le principe sur lequel ils sont basés, c’est purement et simplement d’essayer de prédire la continuation d’un texte. Ils essaient de prédire les mots qui seraient les plus probables dans le corpus de textes dans lequel ils ont été entraînés. Bien sûr, il y a beaucoup de connaissances humaines présentes sur Internet, mais elles sont très superficielles et ça ne comprend pas, par exemple, la connaissance du monde physique, du monde réel. Donc ces systèmes, d’une certaine manière, ont beaucoup moins de connaissances du monde réel… Que votre chat. »

Voilà ce qui a le mérite d’être clair.

En tout état de cause, réitérons simplement que dans l’état actuel des choses, les systèmes comme ChatGPT n’ont pas vocation à être utilisés dans des environnements critiques ou confidentiels ou – vous l’aurez compris – pour des questions où l’exactitude des informations obtenues revêt la moindre importance.


C’est ChatGPT lui-même qui le dit, d’ailleurs…



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