« Call me maître » (ou pas) : Le titre de « maitre » porté par les avocats et officiers ministériels a-t-il un équivalent direct en anglais ?

Publié le 22 mars 2024 par Charles Eddy, traducteur juridique assermenté à Lille, expert près la Cour d'appel de Douai




« Dites-moi, maître, savez-vous pourquoi je vous ai choisie, parmi toutes ces têtes de nœud de Denton & Lovell ? »
— Hervé Le Tellier, L’anomalie (Prix Goncourt 2020), p. 70

L’usage du terme « maitre » est tellement ancré dans notre culture pour faire référence aux auxiliaires de justice et officiers ministériels – avocats, notaires, commissaires de justice (ex-huissiers)… – qu’il nous paraît fort naturel de l’entendre à chaque fois qu’un personnage de fiction s’adresse à un membre de ces professions.

En effet, en France, on emploie le titre « maître » aussi bien seul (« Bonjour Maître », « Cher Maître ») qu’accompagné du nom de famille (« J’ai reçu un courrier de Maître Dupond »), tel un automatisme.

Mais si j’ai inclus cette citation en début d’article – un passage où Sean Prior, PDG texan à la tête d’un empire pharmaceutique, s’adresse à son conseil en l’appelant « maître » à la française – c’est qu’il y a de quoi s’interroger.

Posons-nous la question de ce fait : en anglais, lorsqu’on s’adresse à un avocat ou autre professionnel du droit, convient-il de « mettre le maître », pour ainsi dire, ou bien faut-il l’omettre ?

Des codes et usages différents

Soyons clairs : le titre « Maître » n’a aucun sens en anglais.

S’agissant des avocats, maître est une survivance de l’origine de la profession où ils avaient la qualité de clercs laïcs. Il a sa place en français en tant que forme d’adresse, mais en anglais les usages sont différents.

En s’adressant à un interlocuteur anglophone avec une approche « cibliste »[1] (pour faire court, en adaptant le texte à la culture et aux codes de votre interlocuteur au lieu d’exiger de votre interlocuteur qu’il s’adapte aux usages du français dans un texte pourtant rédigé dans sa langue), il est clair que la seule solution valable est d’omettre le titre « Maitre ». En effet, l’interlocuteur n’y verra aucune forme de respect ou de politesse : au mieux, il connaitra les usages français et en conclura que vous maîtrisez mal les codes de l’anglais ; au pire, il ne comprendra pas du tout ce que signifie maître et sera désorienté (voire contrarié), se focalisant sur ce point de détail plutôt que sur le fond de votre communication.

L’usage du terme n’apportant rien au destinataire du texte, il convient de rechercher d’autres solutions.

Comment procéder ?

De manière générale, Maître Dupond deviendra Mr. Dupond (pour un homme) ou Ms. Dupond (pour une femme).

Au début d’un courrier, la solution la plus simple pour rendre efficacement « Cher Maître » sera « Dear Counsel » ; cette forme d’adresse n’est pas suivie du nom de famille, et ne peut être utilisée QUE pour les avocats. Il est également possible d’opter pour la simplicité – « Dear Mr. Dupond » . Qui dit simple ne veut pas dire impoli.

À la fin d’un courrier, en signature, on écrit souvent son nom sans préciser Mr./Ms., suivi d’un titre à la ligne. Parmi les possibilités :

  • Avocat (pour donner son titre français, sachant que l’équivalence parfaite n’existe pas en la matière) ;
  • Barrister ou Solicitor (pas toujours recommandé, mais pour l’Angleterre, cela reste une possibilité) ;
  • Attorney at Law ou Attorney (aux États-Unis, mais encore une fois, ce n’est pas forcément recommandé pour les mêmes raisons) ;
  • Lawyer (une solution plutôt générale, même si elle n’est pas sans défauts) ou Counsel ;
  • ou encore, Partner (Associé) ou Associate (Avocat salarié/collaborateur), lorsqu’on veut mettre l’accent sur son rôle au sein du cabinet).
Sincerely,

Sandra Dupond
Avocat
Sincerely,

Sandra Dupond
Barrister
Sincerely,

Sandra Dupond
Attorney at Law
Sincerely,

Sandra Dupond
Counsel for X
Sincerely,

Sandra Dupond
Partner

En aparté (car cela ne concerne pas directement l’usage de « maitre »), rappelons que les formules de conclusion comme « Je vous prie d’agréer, cher maître, l’assurance… » ou « Votre bien dévoué » n’existent pas en anglais : parmi toutes les solutions disponibles, le maître-mot devrait être la simplicité ; je conseille « Sincerely, » pour les États-Unis et « Yours respectfully, » pour le Royaume-Uni, mais il existe un foisonnement d’options.

Pour conclure : ne pas mettre le maître – même dans la fiction !

Vous l’aurez compris : aucun interlocuteur anglophone (ou presque) ne comprendra si vous choisissez d’utiliser la forme d’adresse « maitre ». Il est préférable de laisser tomber ce signe de politesse et d’opter pour une solution « native », qui se résume souvent à une plus grande simplicité.

La réponse à la question « Où mettre le maître ? » – que ce soit en traduction ou lorsqu’on écrit directement en anglais – est donc qu’il ne faut pas le mettre : il est nécessaire d’adapter son message, au cas par cas, aux normes et usages du pays en question.

Et pour le clin d’œil de la citation en début d’article, Hervé Le Tellier nous laisse entrevoir une double fiction : non seulement son personnage (anglophone de naissance) n’existe pas, mais celui-ci n’aurait jamais dit à son conseil « Dites-moi, maître… » en anglais – et par conséquent cette phrase, écrite par l’auteur en français dans le cadre d’un dialogue censé avoir lieu en anglais américain, est d’une parfaite impossibilité.

(SPOILER : Un peu comme le deuxième, puis le troisième avion dans le livre, pour ceux qui l’ont lu ;-).)


Notes

[1] Une approche dite « cibliste » vise à adapter une traduction de manière à ce qu’elle corresponde aux usages du pays de destination de la traduction – en d’autres termes, à la langue et la culture « cible » de la traduction (d’où le nom). Elle s’oppose à une approche dite « sourcière » qui vise à faire justement l’inverse en mettant l’accent sur la langue et la culture de départ (la « source ») au détriment de la langue cible. On parle aussi de la « fidélité à l’esprit » du message véhiculé, par opposition à une trop stricte « fidélité à la lettre ». Pour des explications détaillées sur le sujet, voir mon article « Sourcier ou cibliste ? Les rouages de la traduction juridique. ».



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